Marchés

Après deux années marquées par des turbulences financières et des sanctions, les marges commerciales des distributeurs de carburants au Maroc connaissent un net redressement en 2024. C’est l’un des principaux enseignements du dernier rapport du Conseil de la concurrence, qui s’intéresse à l’activité des neuf principales sociétés opérant dans le gros du gasoil et de l’essence. Mais cette reprise, saluée comme un signe de stabilisation, s’est rapidement confrontée à une nouvelle érosion au cours du premier trimestre 2025, dans un contexte de tensions persistantes sur les prix internationaux et de concurrence accrue sur le marché national.

L’année 2024 avait marqué un tournant. Le taux de marge nette du secteur carburants, qui avait plongé à -0,5 % en 2023 en raison notamment des amendes infligées par le Conseil de la concurrence, a atteint 2,9 % sur l’année suivante. Cette progression s’est traduite concrètement par une marge nette de 0,43 dirham par litre pour le gasoil et de 0,61 dirham pour l’essence, des niveaux largement supérieurs à ceux de la période 2022-2023. Les opérateurs ont donc pu reconstituer une partie de leur rentabilité, mise à mal par les fluctuations des cours mondiaux et les pressions réglementaires.

Ce redressement n’a pourtant pas résisté aux dynamiques du début d’année 2025. Selon le même rapport, les marges commerciales brutes – indicateur plus immédiat, mesurant l’écart entre le coût d’achat hors taxes et le prix de cession aux stations partenaires – ont reculé sensiblement sur les trois premiers mois de l’année. Pour le gasoil, la marge brute a chuté de 1,46 dirham par litre à la mi-février à seulement 0,86 dirham fin mars. L’essence, traditionnellement plus rentable, a suivi une trajectoire similaire, passant de 2,11 à 1,66 dirham par litre. La moyenne trimestrielle s’établit ainsi à 1,24 dirham pour le gasoil et 1,95 dirham pour l’essence.

Cette baisse des marges intervient alors que les distributeurs ont dû faire face à des coûts d’achat en hausse pour le gasoil et quasi stables pour l’essence. Les cotations CIF (coût, assurance, fret) sur les marchés internationaux, bien qu’en léger recul, n’ont pas suffi à compenser l’augmentation des charges logistiques, des frais d’approche et autres coûts opérationnels. Pourtant, les opérateurs ont décidé d’ajuster à la baisse leurs prix de cession aux stations-service, dans une logique de maintien de leur compétitivité.

En toile de fond, le rapport met en évidence un marché de plus en plus fragmenté, où les parts de marché des neuf principales sociétés continuent de s’effriter au profit de nouveaux entrants. Ces derniers, mieux positionnés sur certains segments ou plus agressifs sur les prix, contribuent à maintenir une pression constante sur les marges. Pour les distributeurs établis, cela implique des choix délicats : préserver leur rentabilité ou soutenir leurs volumes via une politique de prix plus accommodante.

Alors que le réseau national continue de s’étendre – avec plus de 3 570 stations-service recensées à fin mars 2025 – les enjeux de rentabilité à court terme pourraient peser davantage sur la stratégie des opérateurs dans les trimestres à venir. La baisse des dividendes distribués en 2024, passée à 41 % des bénéfices contre 87 % en moyenne sur la période 2018-2021, témoigne d’ailleurs d’une prudence nouvelle dans la gestion financière du secteur.

Si 2024 a permis un retour à l’équilibre, le début de l’année 2025 rappelle que cette embellie reste fragile. Dans un environnement instable, où les cours internationaux dictent encore en grande partie les conditions du marché, les marges commerciales demeurent un indicateur sensible, à surveiller de près.