Mardi 11 Avril 2023

Politique monétaire : Un remède anti-inflation inefficace ?

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•    Ennemi public numéro un, l’inflation remet la question de l’efficacité de la politique monétaire au cœur des débats. 

•    Une hausse de 10 pbs des taux directeur des banques centrales réduit l’inflation sous-jacente de 25 pbs, au bout d’1 an à 1 an et demi.

Alors que la hausse des prix à la consommation atteint des niveaux jamais visités, l’efficacité de la politique monétaire dans la lutte contre l’inflation fait débat parmi les économistes et les décideurs politiques. Certains soutiennent qu’elle n'est pas toujours efficace pour lutter contre l'inflation. D’autres estiment qu’un durcissement monétaire cohérent et efficace peut agir sur les anticipations d’inflation des agents économiques et donc maintenir une certaine stabilité des prix.

Selon la recherche de la banque d’affaires Natixs, plusieurs conditions doivent être remplies pour qu'une politique monétaire restrictive puisse faire baisser l'inflation sous-jacente. Premièrement, cette politique monétaire restrictive freine la demande et la production. Que le freinage de la demande et de la production fasse monter le taux de chômage et que finalement la hausse du chômage fasse reculer l’inflation sous-jacente.

En revanche, les observations de Natixis montrent que la hausse des taux d’intérêt fait baisser la production avec un retard en moyenne de 2 à 3 trimestres. À son tour, la baisse de la production fait reculer l’emploi et monter le chômage avec un nouveau retard de 2 trimestres. Et enfin, la hausse du chômage fait reculer l’inflation sous-jacente avec un troisième retard de 2 à 3 trimestres en moyenne.

On voit qu’il faut une restriction monétaire suffisante pour faire monter le chômage et trois retards dans la réaction (de la production, du chômage, de l’inflation sous-jacente) pour qu’une politique monétaire fasse baisser les prix.

Depuis la mi-2021, l’inflation sous-jacente augmente. À partir de mars 2022, les Banques centrales sont passées à une politique monétaire progressivement plus restrictive. Toutefois, le recul de la croissance observé en 2022 vient partiellement de cette politique monétaire plus restrictive, en particulier avec ses effets sur l’investissement logement des ménages, explique Patrick Artus, économiste français, directeur de la recherche et des études de Natixis dans un papier de recherche.

Mais au début de 2023, on ne voit encore aucun effet de cette politique monétaire plus restrictive sur le taux de chômage, et donc son effet sur l’inflation sous-jacente est nul, résume la note.

Synthèse : la faible efficacité des politiques monétaires restrictives pour lutter contre l’inflation vient du fait qu’elles doivent, pour faire baisser l’inflation, à la fois ralentir la production et faire monter le chômage. Cela implique un délai moyen entre le passage à une politique monétaire restrictive et la baisse de l’inflation sous-jacente d’au moins 6 trimestres. Cela explique qu’aujourd’hui l’inflation sous-jacente est très peu réduite aux États-Unis et pas du tout dans la zone Euro par la politique monétaire restrictive menée depuis mars 2022.

Selon l’estimation de Natixis, l’effet d’une hausse de 10 pbs des taux d’intérêt des Banques centrales est de réduire l’inflation sous-jacente au bout de 1 an à 1 an et demi, de 25 points de base.

Pour l’économiste, les hausses anticipées de 500 pbs du taux des Fed Funds et de 450 pbs du taux repo sur l’Euro ne réduisent l’inflation que de 1,2 point. Par contre, une politique budgétaire restrictive réduirait l’inflation plus fortement : une réduction de 1 point de PIB du déficit public réduit le niveau de PIB d’un peu plus de 1 point, fait monter le taux de chômage de 0,8%. L’expérience du passé montre qu’une hausse du taux de chômage de 1 point à un 1 point demi, suffit à faire baisser l’inflation. «Une politique budgétaire restrictive est donc plus efficace pour réduire l’inflation qu’une politique monétaire restrictive», estime-t-on.

Mais l’efficacité de la politique monétaire varie d’une économie à l’autre du fait qu’elles sont complexes et dynamiques.
 


Le cas du Maroc


Selon la Banque mondiale, divers facteurs limitent la répercussion des taux d’intérêt sur la production au Maroc : (1) malgré l’élargissement récent de la bande de fluctuation, le Dirham reste arrimé à l’Euro et au Dollar, ce qui implique que les mouvements du taux de change n’amplifieront que modérément l’impact de la hausse des taux d’intérêt; (2) les volumes importants de la liquidité en circulation et les faibles niveaux d’inclusion financière qui caractérisent l’économie marocaine réduisent également l’efficacité de la politique monétaire; (3) plus de 85% des prêts au secteur privé sont contractés à taux fixe. Dans ce contexte, une hausse des taux d’intérêt de 100 pbs devrait entraîner une baisse de la production d’environ 0,18 point de pourcentage, avec un pic après 9 trimestres.

Comme de nombreuses autres Banques centrales, BAM est actuellement confrontée à un arbitrage complexe. D’une part, les chocs récents trouvant leur origine principalement du côté de l’offre, pourraient être temporaires et sont survenus dans le contexte d’un écart de production négatif, affaiblissant la logique de la politique monétaire en tant qu’outil anti-inflationniste. D’autre part, les pressions sur les prix se sont progressivement élargies et vont désormais bien au-delà des produits les plus touchés par les chocs d’offre. Il y a donc un risque que les anticipations d’inflation se désancrent, ce qui pourrait justifier un resserrement plus fort de la politique monétaire. 

«À l’avenir, la réponse optimale du Maroc en matière de politique monétaire dépendra de la persistance de l’inflation et de la probabilité que les effets de second tour s’accentuent à mesure que les pressions sur les prix continuent de se propager dans l’économie. Dans ce contexte complexe, les autorités pourraient envisager de compléter l’effort anti-inflationniste par des politiques structurelles visant à assouplir les contraintes d’offre, en particulier pour les produits alimentaires, où l’écart important entre les prix à la production et les prix de détail est en partie dû à des dysfonctionnements du marché», affirme l’institution internationale. Calibrer la réponse de la politique monétaire aux chocs actuels n’est donc pas facile, et Bank-Al-Maghrib a jusqu’à présent opté pour la prudence, en relevant les taux directeurs tout en maintenant une politique accommodante. 

Au final, les effets de la politique monétaire sont souvent lents à se faire sentir. Les changements dans les taux d'intérêt et la quantité de monnaie en circulation peuvent prendre plusieurs mois pour se traduire par des changements dans les prix. Une approche plus globale, qui combine une politique monétaire efficace avec des réformes structurelles à plus long terme, peut être nécessaire pour lutter efficacement contre l'inflation sous-jacente.
 

Y.S

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