Tout juste trois ans après leur tonitruant lancement, le Projet de Loi de Finances 2023 (PLF), s’il est adopté en l’état, signera l’arrêt de mort des OPCI. Enquête sur un écosystème qui pèse plus de 37 milliards de dirhams et dont les acteurs se disent «traumatisés» par les annonces du gouvernement.
Lancés en grande pompe durant l’été 2019, les organismes de placement collectif en immobilier (OPCI) ont connu une ascension fulgurante. Ni la crise sanitaire et encore moins les tensions géopolitiques n’ont eu raison de la croissance à deux chiffres de cette industrie. On parle aujourd’hui, après 3 années quasi pleines d’activité, d’une quarantaine de fonds, gérés par 9 sociétés de gestion avec un encours qui dépasse les 37 milliards de dirhams. Dans l’histoire des véhicules de placement au Maroc, des OPCVM aux fonds de titrisation, en passant par les contrats d’épargne classiques et les OPCR, aucun instrument n’a connu un tel démarrage. Et les raisons sont nombreuses. Premièrement, ce mécanisme répond à un réel besoin des investisseurs institutionnels et des banques à liquéfier leurs bilans. À transformer des biens immobiliers en argent frais qui sera redéployé dans l’économie. L'Etat, lui-même, les considère comme un instrument à exploiter pour la sortie de crise. Deuxièmement, le cadre réglementaire a été extrêmement bien verrouillé par l’AMMC, tout en offrant de la souplesse aux opérateurs en matière d’opportunité business. La profession a souvent salué, sur notre support, la rapidité avec laquelle les textes ont été adoptés ainsi que leur pertinence et le champ du possible (possibilité d'être cotés, etc.). Troisièmement, la fiscalité des OPCI a facilité leur développement en en faisant des véhicules neutres de ce point de vue-là. Et c’est justement ce dernier pilier que le PLF2023 remet totalement en cause.
Le raisonnement de l’Etat
Dans le PLF 2023, le gouvernement prévoit de supprimer l’abattement de 60% au titre des dividendes remontés par les OPCI à leurs actionnaires.
Concrètement, dans la réglementation actuelle, lorsqu’un OPCI verse 100 DH de dividendes à son actionnaire, seuls 40 DH sont imposables. L’Etat souhaite supprimer totalement cet avantage et soumettre la totalité des dividendes à l'impôt. Notre enquête nous a permis de comprendre la raison auprès d’opérateurs du secteur. L’Etat estime que certains investisseurs institutionnels utilisent cet abattement pour faire de l’optimisation fiscale «appuyée». Ils apportent leurs actifs à un fonds dont ils sont les actionnaires exclusifs, payent des loyers au fonds puis récupèrent ces loyers sous forme de dividendes défiscalisés à hauteur de 60% tout en générant une plus-value d’apport au passage. Sur le papier, ce raisonnement est juste. Mais sur le terrain, l’on constate que les principaux actionnaires des fonds qui ont apporté des biens à leurs fonds, ont vendu une partie des parts à d'autres actionnaires externes. Cela se traduit par le paiement d’un IS exceptionnel au profit de l’Etat et par l’arrivée de nouveaux investisseurs dans le fonds qui partagent la richesse créée, balayant l'avantage fiscal décrit plus haut. Les opérations les plus médiatisées ces dernières années, notamment dans le secteur bancaire, ont toutes connu ce sort.
L’autre « pseudo abus » reproché à certains investisseurs institutionnels et qui en fait n'en est pas un, est d’être à la fois actionnaires des OPCI et locataires des actifs détenus par ces mêmes OPCI, ce qui contribuerait à optimiser fiscalement les loyers versés aux OPCI détenus. Pour les professionnels, “cet argument n’est pas recevable dans la mesure où ces mêmes acteurs n’ont fait que remplacer une partie des amortissements desdits actifs, constatés dans leurs comptes, par les loyers qu’ils versent aux OPCI ainsi créés, ce qui se traduit par une quasi neutralité sur leur résultat”. Par ailleurs, comme indiqué précédemment, une grande partie de ces acteurs ne bénéficient pas de la totalité des dividendes versés par ces OPCI puisqu’ils ont cédé une partie des actions détenues.
Pour la rédaction de cet article, OPCI, banques et institutionnels témoignent sous anonymat pour des raisons évidentes. Mais le discours qui ressort de nos discussions est que quand bien même l’Etat a constaté des abus, il aurait fallu légiférer sur les abus et leurs causes et non sur le véhicule en entier. «Faut-il interdire aux gens de conduire à cause des accidents de la circulation ou faut-il lutter contre les accidents ?» résume, médusé, un acteur du secteur bancaire.
Des conséquences dramatiques pour le secteur
Dans la profession, c’est l’hécatombe. La suppression de l’abattement va rendre les foncières classiques, pourtant moins réglementées, plus avantageuses. Rappelons ici que les OPCI ont pour but d’apporter de la liquidité dans le secteur immobilier, mais aussi de la transparence à travers un cadre réglementaire strict imposé par l’AMMC. Il ne leur est pas permis de pratiquer des amortissements et doivent remonter la quasi-totalité de leurs dividendes aux actionnaires. C'est leur raison d'être. Or, avec la disposition du PLF, ces véhicules vont demeurer plus contraignants tout en payant jusqu’à 2 fois plus d’impôts que les foncières classiques qui, plus est, pratiquent l'amortissement comptable. Autant dire que personne n’ira investir dans les OPCI si cette mesure est adoptée.
Des fonds risquent de fermer
Il existe une quarantaine de fonds en activité et quelques dizaines de dossiers seraient à l’étude chez l’AMMC. Parmi les 41 fonds en activité, près de 20 ont démarré avec des apports limités en cash pour profiter de la fenêtre permise par la Loi de Finances 2022, dans la perspective de faire des apports en nature en 2023. Pour certains promoteurs de ce type de fonds, la suppression de l’abattement les poussera à faire marche arrière et par extension fermer purement et simplement leurs fonds qui ne serviront plus à rien. Autant dire que près de 50 % des OPCI vont disparaître tout simplement. L’image de l’investissement du Maroc, à l’extérieur n’en sortira pas indemne.
Un signal négatif aux investisseurs étrangers
Alors que les sociétés de gestion se disent petit à petit sollicitées par des investisseurs étrangers pour financer des activités industrielles au Maroc, les gérants de fonds estiment que cette mesure va définitivement les repousser. «Soit on a une fiscalité d’OPCI comme partout dans le monde, soit on supprime ce statut. Il faut que les étrangers y reconnaissent les mêmes caractéristiques qu’ils ont sur leurs marchés. C’est le cas pour les OPCVM par exemple», explique un asset manager pour qui les règles comptables appliquées aux OPCI n'ont d'intérêt qu'avec un abattement sur les dividendes.
Un écosystème à préserver
Autour de l’industrie des OPCI gravite un écosystème tout aussi réglementé et qui a demandé des années de mise à niveau à travers de la formation, des systèmes d’information coûteux etc. Les évaluateurs immobiliers, par exemple, sont régulés directement par le ministère des Finances. Les experts-comptables et les dépositaires ont aussi développé de nouveaux services et solutions avec des équipes dédiées autour de cette thématique.
Le jeune marché des OPCI n'est qu'à ses débuts. Il est appelé à se développer en s’ouvrant aux investisseurs particuliers et au grand public. Or, pour que cette classe d’actifs se développe dans le retail, les fonds ont besoin de sponsors : des investisseurs qui prennent de grands tickets pour amorcer ce type d’OPCI qui seront, en fin de compte, destinés aux petits porteurs. Les mesures du PLF, tel que proposées par le gouvernement, vont rendre ce type d'initiatives inintéressant et par conséquent priver définitivement les particuliers et les petits épargnants d’accéder à l’immobilier locatif à travers les OPCI. N’oublions pas aussi que le secteur est appelé à connaître un marché secondaire beaucoup plus actif dans les quelques années à venir lorsque certains placements récents seront à maturité. Ces transactions portent sur des montants importants et génèrent des impôts sur les plus-values.
Tout ceci sans oublier que les recettes fiscales générées par les OPCI sont déjà conséquentes malgré l’abattement : droits d’enregistrement, conservation foncière, TVA...On parle, ne l’oublions pas, d’un secteur capitalistique.
Enfin, il en va de la crédibilité du marché des capitaux. Les investisseurs qui ont apporté leurs titres aux OPCI nous disent aujourd’hui se sentir «piégés». Il n’est pas dans l’intérêt de notre marché des capitaux d’avoir une fiscalité qui évolue au gré des gouvernements et des aspirations à court terme. Les investisseurs locaux et étrangers ont besoin de visibilité pour investir à long terme. Le cadre doit rester immuable sur le long terme pour que les règles du jeu soient comprises et correctement appliquées. Pour les opérateurs du marché, si cette mesure est appliquée, les investisseurs seront réticents à faire confiance à tout autre nouvel instrument quelle que soit sa nature. Passer une telle disposition, c’est hypothéquer l’avenir des investissements privés au Maroc que ce soit par les locaux ou par les investisseurs étrangers....Car chat échaudé craint l'eau froide.
A.H