Vendredi 24 Octobre 2025

Au Maroc, le paiement digital bute encore sur la barrière de l’acceptation

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Malgré la progression du paiement digital, le Maroc reste freiné par un maillage d’acceptation encore limité. Dans sa dernière étude, Visa International Maroc en mesure l’impact et trace les voies d’une croissance rapide et inclusive.

 

Le Maroc compte des millions de cartes actives… mais encore trop peu de lieux où les utiliser. Pour Visa, c’est là que se joue désormais la bataille du digital : dans l’acceptation. L’entreprise en apporte aujourd’hui la preuve chiffrée et méthodique. À Casablanca, lors d’une table ronde médias le 23 octobre 2025, le directeur général de Visa International au Maroc, Sami Romdhane, a détaillé les enseignements de l’étude “Value of Acceptance” et esquissé les leviers pour sortir d’un modèle encore dominé par le cash.

«Payment is an acceptance business». La formule, répétée par Sami Romdhane, sert en effet de fil rouge : l’émission de cartes progresse, mais sans points d’acceptation (TPE, e-commerce, in-app) la digitalisation plafonne.

Menée auprès de 260 entreprises (nano, micro et small business) à Casablanca, Rabat et Marrakech, l’étude (Value of Acceptance Study) conclut que le tissu marchand marocain a basculé psychologiquement dans le digital : 60% utilisent déjà des solutions de paiement numérique depuis plus de trois ans ; deux tiers déclarent préférer le digital au cash, notamment pour la trésorerie ; 67% jugent que ces paiements soutiennent leur croissance.

Pourtant, le contraste est net côté terrain puisque 42% des entreprises restent “cash-only”, même si 55% disent vouloir s’équiper d’un TPE sous deux ans. L’étude estime à 1,2 million le potentiel d’entreprises et de commerces “adressables” pour l’acceptation, et rappelle que le cash représente encore 63% de l’ensemble des transactions dans le pays.

Ainsi, le “gap d’acceptation” apparaît aujourd’hui comme le principal frein micro-économique à la diffusion des usages et donc au rendement macro-économique de la digitalisation.

 

Un coût perçu élevé, un risque… surtout côté cash

Côté perceptions, 71% des répondants jugent la gestion du cash risquée (vols, litiges), tandis que 56% estiment que la crainte de la fraude carte diminue avec l’usage et les protections (tokenisation, IA d’analyse des transactions). Les freins cités à l’acceptation sont les frais (42%), le confort du cash (38%) et les coûts d’installation/entretien (25%).

À ce sujet, Romdhane a souligné que «le digital apporte une meilleure traçabilité et une sécurité renforcée», tout en insistant sur la nécessité de «continuer à rassurer et à simplifier l’accès aux outils pour les commerçants».

Sur le plan opérationnel, il a également rappelé le modèle à quatre parties (porteur, commerçant, acquéreur, émetteur) et le rôle de VisaNet dans l’acheminement et le scorage en temps réel des transactions avec jusqu’à 500 signaux analysés en sous-seconde qui signale par exemple à l’émetteur lorsqu’un site subit une attaque.

Il faut dire que le passage à l’acceptation n’est pas sans effets tangibles : environ 70% des marchands déclarent une hausse du chiffre d’affaires, 64% constatent plus de trafic, et 91% sont satisfaits du process carte. Pour des zones touristiques comme les médinas, l’acceptation capte des ventes fugitives (touristes sans cash, impossibilité de retirer, etc.).

«Ces chiffres montrent que l’acceptation n’est pas un coût bancaire mais plutôt un investissement de productivité», a commenté S. Romdhane qui rappelle que «chaque terminal actif est un commerce qui s’ouvre à de nouveaux clients».

Autrement dit, accepter les paiements digitaux, ce n’est pas supporter un coût bancaire, c’est investir dans la performance : plus de confiance, moins de frictions à la caisse et une gestion comptable plus fluide.

 

L’impact macroéconomique et les leviers d’adoption

Au-delà des comptes d’exploitation, la bascule vers le numérique est macrodynamique, notamment sur la croissance, l’inclusion et la formalisation. La Banque mondiale estime qu’une digitalisation des paiements peut augmenter le PIB de 3 à 5% sur 5 à 10 ans, hausser la productivité des services de 10 à 15% et, si les paiements digitaux progressent de 5%/an pendant 5 ans, réduire l’informel de 11 à 13%.

En parallèle, l’étude synthétise quatre leviers d’adoption : coût, formation & sensibilisation, transformation technologique et sécurité. Concernant le coût, les commerçants réagissent au “prix facial” (1–3% selon domestique/international), mais l’enjeu est d’aligner la tarification sur la valeur, c’est-à-dire sur les gains réels en ventes, en trésorerie et en efficacité. Romdhane souligne à ce propos qu’il est essentiel d’élargir la concurrence acquéreur pour diluer les coûts fixes et stimuler l’innovation.

De leur côté, la formation et la sensibilisation sont tout aussi décisives. Les caravanes d’information menées avec les fédérations et les ministères montrent que l’explication du TPE, des règles et des bénéfices déclenche l’équipement. À mesure que les commerçants comprennent la simplicité d’usage, l’adoption progresse.

La transformation technologique, elle, accélère la démocratisation. Tap-to-Phone (TPE logiciel sur smartphone NFC) désintermédie le terminal physique et abaisse la barrière d’entrée pour les plus petits volumes ; côté e-commerce, la tokenisation et la Risk-Based Authentication (RBA) visent une expérience “transparent payment”, autrement dit moins d’OTP sans sacrifier le risque.

Enfin, la sécurité reste le socle de la confiance. L’empilement IA, tokenisation et authentification adaptative fait baisser le taux d’attaque visible côté commerçant et rassure sur la réception des fonds.

Ceci étant, le momentum touristique, l’évolution locale de l’écosystème (arrivée de nouveaux acquéreurs, montée des wallets, partenariats fintech) et l’accueil d’événements majeurs créent une fenêtre d’adoption : «This is the right moment!» résume la présentation. « Partnership is key », ajoute le DG de Visa International au Maroc, insistant sur le fait que l’enjeu n’est pas d’imposer un modèle mais d’orchestrer banques, acquéreurs, fintech, opérateurs télécoms et pouvoirs publics pour densifier l’acceptation là où la valeur marginale est maximale (tourisme, mobilité, restauration rapide, artisanat export, services à domicile).

 

Ce que cela implique pour la politique économique

Ce constat appelle plusieurs implications pour la politique économique. D’abord, il convient d’accélérer l’acceptation là où l’élasticité est la plus forte, notamment dans les zones touristiques et le commerce de proximité à fort passage, en combinant subventions ciblées (TPE/Tap-to-Phone) et incitations fiscales temporaires.

Ensuite, l’ouverture de l’acquisition et la normalisation des outils comme la tokenisation ou la RBA,  doivent permettre de converger vers une expérience “un-clic”, simple et homogène. En parallèle, la pédagogie doit être industrialisée à grande échelle, via des programmes filières et des actions menées avec les collectivités locales, les marchés, les souks ou les coopératives rurales. Enfin, il est indispensable de mesurer l’impact concret, en termes de productivité, de formalisation et de TVA, pour réallouer les incitations vers les segments les plus rentables socialement.

Au final, le Maroc est bien prêt. La demande d’acceptation est là, la technologie est mûre, le coût perçu est maintenant le bon problème à résoudre. La bascule ne se fera pas par l’émission, mais par l’acceptation au dernier mètre ; cette “infrastructure de confiance” qui transforme des cartes dormantes en transactions productives. «L’acceptation n’est pas une fin en soi, c’est un levier de croissance et de compétitivité pour le pays», a conclu Sami Romdhane. Le reste est affaire de régulation pro-concurrence, de design d’incitations… et d’exécution partenariale.

 

 

Visa au Maroc: rappels de trajectoire

Quarante ans d’histoire, vingt ans de présence locale structurée, et une accélération marquée sur la dernière décennie. L’histoire de Visa au Maroc est celle d’une construction progressive d’un écosystème d’acceptation, soutenue par des alliances bancaires, technologiques et institutionnelles.
Depuis les premiers partenariats bancaires des années 1980 jusqu’à la création du CMI en 2001, la consolidation du switch national en 2015 et l’avènement du paiement sans contact en 2017, chaque étape a renforcé l’interopérabilité et la confiance dans les paiements digitaux.
Les dernières années ont marqué une nouvelle phase d’innovation : lancement des X-Pays et du programme Africa Fintech Accelerator en 2023, co-brand Visa–Royal Air Maroc et partenariat avec Maroc Telecom en 2024. Une dynamique que la table ronde médias 2025 est venue consacrer en confirmant le rôle de Visa comme catalyseur de la digitalisation du commerce. «Le Maroc a toujours été un laboratoire d’innovation financière pour la région», résume Sami Romdhane.


Y.S

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